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Les nus, Emmanuelle le CamIl y a l’écriture au milieu.
De part et d’autre, le chat ondule sa rousseur sur la table ou le clavier, et la mer ravale ses tem-pêtes à quelques encablures. Emmanuelle Le Cam ligature ses poèmes, carrés, haletants, courts, rugueux. On reconnaît la syncope régulière des vagues orphelines et la félinité sensuelle des mots gorgés d’encre. Les saisons fixent la mesure, une basse fréquence qui colore les nuits. L’être s’offre pleine peau, il n’existe qu’une pellicule de neige entre la fragilité et la nudité, une autre de sang avec le spectre. Peu importe marine ou bestiaire, s’expose un tableau transparent où le poète cap-ture son reflet, ce tutoiement qu’elle adresse aux aimés de tous les ports perdus, de toutes les cages sauvages. Ou qu’elle se donne encore en dialogue postiche. Est-ce encore l’âme sœur ou le frère maléfique ? Des bribes énigmatiques sont livrées, à charge pour chacun de percer les mystères tapis sous les mots ras. Le sphinx est dans la place.
C’est le poète qui construit sa charpente charnelle avec des morceaux d’allumettes, laconi-ques et volatils, comme ses vers. Elle s’explique à coups de griffes d’ocre, et l’on comprend la lacé-ration. La fable équilibre la quête de réalité, toute une infrastructure locale, folklorique, où légendes féériques et influences anglo-saxonnes s’associent pour éclaircir par sortilège interposé les ombres du dedans. Il y a une quête ensorcelée de l’enfance perdue et déchirée. Le calme plausible dissimule un passé douloureux dont l’écriture actuelle serait sans cesse un exutoire : or, quelle que soit la douceur du moment présent, le gouf-fre demeure. L’humeur est versatile, de l’enthou¬siasme amoureux au désenchantement, et la mort ne drague jamais loin. L’écriture s’égare parfois dans d’étranges corridors entre enfermement et déraison. La poésie d’Emmanuelle Le Cam s’habille aux rayons nus et écorchés.
Jacques Morin (préface)
Dans Les Nus, Emmanuelle Le Cam montre toute la droiture, la fermeté de son écriture même si elle se tient "sur un fil ténu" et qu'"il est temps de douleur". Cette âpreté n'est pas faite pour nous éloigner, au contraire, sa parole est à partager dans "la réverbération de tous les soleils" !
Jean-Michel Bongiraud in Pages insulaires n° 23
La préface de Jacques Morin, un poème en soi, nous prépare à la lecture. C'est, de plus, une analyse fine de ce qui nous touche et que l'on peut saisir, et des mystères qui demeurent. Le livre comprend quatre parties: Frère des maléfices, Les nus, Le sourire des rois, Sur ma tombe. Dans la première, deux poèmes ; le premier, « Désincarné toi», évoque, semble-t-il, le souvenir d'un amour très ancien, fort et douloureux : « mail amour». « Mon cri au réveil / Qui t'appelle // Mes doigts, nus // Nous sommes // (Ainsi) // Devenus // Nous-mêmes ? ... » ; le deuxième, « About Elisabeth and things », remonte à la naissance du poète, difficile, près de « la Mère Froide ». « Ce corps nu, / Membres lourds / De défaites / A // Or-ga-ni-ser // Peu à peu». Les nus s'adresse à un autre, aimé. Cette partie, en strophes régulières, bien que toujours montrant les blessures profondes, est plus apaisée. « La montée de l'échelle / S'effectue pondérée / Les nus accompagnent les trêves / Ils connaissent les arcanes / Leurs revers sont brefs, étroits / Ils ne transigent pas / Avec le vivant », Le sourire des rois exprime la résignation: « Nous sommes fétus de paille / Au vent qui va », mais accompagnée : « Et tu tiens ma main pour la traversée » ... « Corps à nu / je tutoie mes incertitudes / Tu guides ma voie précaire / Ensemble nous allons ». Les chats ont une grande présence avec leur douceur et leur cruauté. Sur ma tombe conclut ce livre. « La mer recouvre la douleur / De devenir soi / Au fil des jours suspendre l'heure / Des retrouvailles / D'avec toi défendu». Quant au style, comme l'écrit Jacques Morin: « Emmanuelle Le Cam ligature ses poèmes, carrés, haletants, courts, rugueux ».
Guy. Chaty, in Poésie Première n°51, coup de coeur de la rédaction
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