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...Plaisir de lire d'abord et bien sûr. Il y a à lire un manuscrit inédit
quelque chose de l'explorateur, du défricheur de jardin. Rhubarbe se donne pour
ligne éditoriale de publier des textes inclassables, hors normes, des
monstruosités littéraires ; de remettre à l'honneur des formes oubliées,
délaissées ; d'en inventer de nouvelles, qui sait ? Son nom le dit, Rhubarbe a le goût du sucré-acide, de
l'énorme, de l'envahissant ; mais aussi envie de retrouver une saveur enfouie quand sucer la tige de rhubarbe attirait irrésistiblement
malgré la certitude de s'y "serrer les dents". A la fois plaisir de
se perdre parmi les feuilles du potager, d'y chercher je-ne-sais-quel trésor
d'escargots ou de limaces et plaisir de l'apprenti sorcier : est-ce que "ça" se mange ?
Plaisir de fabriquer ensuite : saisir, mettre en page, chipoter sur une
police de caractères, une virgule, un titre, une qualité de papier, le
centrage d'une illustration, toutes ces choses, - la chasse sadique aux coquilles
et fautes d'orthographe y compris -, font toucher du doigt la matière palpitante
du livre comme éplucher la tige afin d'en retirer les fibres
ligneuses qui en gâteraient le goût nous plonge au cœur de la vie végétale
; comme découper cette tige en tronçons réguliers après l'avoir
préalablement fendue, confectionner des tartes et des confitures, des
vins et des compotes avec la patience minutieuse de la cuisinière au gros
derrière nous fait retrouver les gestes de l'alchimiste ou du savant fou -
fioles et cornues fumantes, instables, dont devrait s'exhaler un parfum, dont
quelquefois, il s'exhale, en effet.
Plaisir de publier, enfin. Publier un texte, c'est déguster, éprouver une
jubilation, partager une émotion. C'est entrer en connivence avec un lecteur,
lui faire un clin d'œil : "Goûte-moi ça ? Fameux, hein ?" C'est
rencontrer ce lecteur, parler avec lui au détour d'un rayonnage de goûts
communs ou divergents, d'expériences livresques heureuses ou seulement
curieuses, faire le tour du monde autour d'un verre et se resservir jusqu'à
l'ivresse bienfaisante des mots.
Et, me dira-t-on, le nerf de la guerre ? Le plaisir de vendre, de faire du
bénéfice, d'investir, de grandir, d'entrer en bourse, de racheter le petit
copain mal portant ? Le plaisir d'être connu, reconnu, invité aux cocktails,
interviewé à la télé ? Ben non. Pas ces plaisirs là... Rhubarbe publiera à
son rythme, quand ça lui plaira, ce qui lui plaira. soixante-dix titres sont dores et
déjà parus, disponibles chez tous les (excellents) libraires. D'autres sont à
la mûrisserie. Après, on verra.
Alain Kewes, président-fonds de pensions-factotum et surtout, surtout,
gourmand de Rhubarbe
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