Lettre de Canfranc |
|
l'arbre à paroles (automne 2007) |
C'est en qualité de journaliste que Michel Baglin évoque
Canfranc et sa gare fantôme. Il pose les rails, décrit les voies,
emprunte les quais, s'accoude aux guichets déserts, rédige une lettre à
l'une de ses admiratrices et la lui adresse par le truchement de ce livre
bref afin de témoigner de la précarité des agissements humains et de
leurs conséquences. Mais c'est aussi, de page en page, en qualité de poète
et d'homme sensible qu'il s'exprime ici. Canfranc résulte d'un projet
qui, en 1855, devait relier la France à l'Espagne par le chemin de fer.
D'où la conception de cet immense passage obligé. Les difficultés,
cependant, se firent jour dès la conception de la ligne: «Il fallut
lancer des viaducs et des ponts, percer dix-neuf tunnels côté espagnol,
quinze côté français, sans compter le principal», précise Baglin, «le
tunnel du Somport, qui débouche à l'entrée même de la gare de Canfranc».
Il résulte de tout cela une gare immense fréquentée par de rares
passagers, vaste coquille vide que seuls visitent quelques touristes et
quelques rêveurs. Dans cette grande cathédrale triste qui évoque le
bagne de Cayenne déserté, les Prisons du Piranèse et les villages fantômes
des chercheurs d'or américains, Michel Baglin a trouvé matière à une
inspiration où la tristesse rejoint quelque part les rêves de l'inutile.
Donc aussi ceux de la poésie. |
...Il y a un abime entre le réel qu'explore le journaliste et les souvenirs. C'est dans cette faille que s'installe Baglin pour écrire... Lucien Wasselin, La Tribune de la Région Minière 15 novembre 2006
La Lettre de Canfranc rayonne de la "merveille et de la précarité d'être un humain" dans la fraternelle "faim du monde". De ces lignes, "(notre) vie s'augmente, (nos) peurs s'apprivoisent".Gilles Sicard, Poésie 1 (Cherche midi ed.), septembre 2006
Canfranc, c'est une gare, une immense gare, à la frontière franco-espagnole, là où les rails n'ont pas le même écartement, laissée à l'abandon depuis 1970. Le Michel Baglin, journaliste à la Dépêche du Midi, en atteste dans son reportage. Mais le Michel Baglin, nouvelliste, romancier et poète, n'en reste pas là. Quel plus beau paradoxe pour un écrivain que cette zone ferroviaire en déréliction, entièrement vouée au voyage, au passage, à l'activité transfrontalière, soudain figée sur place, tombant en ruines, engluée dans un immobilisme inquiétant. L'imagination enrubanne ces hangars détériorés, ces quais délabrés, ces bâtiments en friche, à travers une manière d'échange épistolaire avec un personnage témoin. Canfranc, c'est l'épiphénomène d'une vie arrêtée net, verre éclaté, qu'on parcourt dans tous les sens sans percevoir le moindre souffle. Une matérialisation majuscule d'une après-vie d'autant plus incroyable qu'elle existe bien et grandeur nature. Jacmo, Décharge n°129
Alain Helissen, Diérèse n°32